L’ouvrage de Charles Patterson Eternal Treblinka (2002) est enfin paru en français (Un Éternel Treblinka, Calmann-Lévy, 2008). L’historien américain traite d'une question extrêmement polémique : le rapport qu’entretient l’être humain avec les autres espèces vivantes, conscientes et sensibles. Comme l’a écrit Milan Kundera, c’est là la question morale fondamentale, si fondamentale que tout le reste en découle.
Pour ces créatures, tous les humains sont des nazis ; pour les animaux, c'est un éternel Treblinka. – Isaac Bashevis Singer (The Letter Writer)
Le rapprochement entre notre façon de traiter les animaux et la Shoah – un tabou que l’écrivain de langue yiddish et prix Nobel de littérature lui-même a été le premier à briser – n’a pas fini de faire hurler un certain nombre d’esprits rigides qui tiennent absolument à maintenir, au mépris des évidences scientifiques les plus criantes, une frontière bien nette entre l’espèce « des Seigneurs » (la leur) et l’ensemble des autres espèces animales, toujours considérées comme inférieures.
« À Auschwitz, nous étions comme des animaux », déclarait Simone Veil dans les années soixante-dix. En vertu de quelle logique cette comparaison entre les déportés et les animaux vaudrait-elle uniquement lorsqu’elle est formulée de gauche à droite ? Autrement dit, comment peut-on trouver naturel de comparer les camps de concentration aux abattoirs ou aux élevages en batterie, et scandaleux de comparer les derniers aux premiers ?
Patterson nous montre que la Shoah est historiquement et techniquement liée à l’industrialisation des élevages. Nous découvrons par exemple qu’Henry Ford, responsable d’une propagande antisémite sans précédent, avait conçu l’idée du travail à la chaîne après avoir visité un abattoir ; que les massacres de Katyn ont eu lieu pour partie dans des abattoirs ; et qu’Hitler avait confié la responsabilité de la "Solution finale" à un éleveur de poulets.